Une année difficile contre Slam Dunk : deux fables opposées sur l‘engagement intéressé
Je n’ai pas vraiment apprécié Une année difficile, le dernier film d’Eric Toledano et Olivier Nakache, sorti en 2023. Pourtant le pitch de départ ne pouvait sur le papier que m’intéresser. Deux prolos endettés, incarnés par Pio Marmai et Jonathan Cohen, rejoignent un peu par hasard un groupe d’action écologiste, Objectif Terre. Les deux compères méprisent les objectifs politiques du groupe, et sont socialement décalés avec les autres membres (on nous rejoue la partition classique de la rencontre bobo/beauf).. Mais les héros choisissent de s’intégrer habilement au mouvement pour s’en servir pour résoudre leurs soucis personnels, et plus généralement pour en tirer profit. Ils vont donc successivement, déguster goulument les apéros gratuits du groupe, extorquer une vieille dame qui contribue à des collectes solidaires, tirer parti d’une action à la Banque de France pour essayer discrètement d’effacer leurs noms des registres de surendettement… Enfin, comble du caractère intéressé de la démarche, un des deux personnages principaux décide de progresser en interne dans l’asso dans l’unique but d’en séduire la leader jouée par Noémie Merlant et, spoiler, il va y arriver on ne sait pas trop comment. Sûrement qu’il fallait bien finir le film sur une happy end convenue. Sur le plan politique, le film est consternant. Rien n’est précis sur le discours et les objectifs du mouvement écologiste, et on enchaîne les clichés bien lourds et convenus : le groupe est constitué de bourgeois qui ne s’assument pas, totalement sectaires et déconnectés des problématiques des vrais prolos de la vraie France (les deux héros). Il y a même un militant qui se fait surnommer Quinoa ! C’est trop.
Cependant, connaissant la tendance démago des deux réalisateurs, j’avoue que ne m’attendais pas à voir un grand film politique. Là où j’ai été vraiment déçu, c’est de voir à quel point le film se vautre sur son propre sujet, à savoir l’engagement et le développement personnel de ses héros. En fait, entre le début et la fin du film, le personnage incarné par Pio Marmai n’arrive pas à évoluer d’un iota. Je remarque que si au début du film il rejoint le mouvement pour y faire des larcins, il n’y reste uniquement que parce qu’il a trouvé son love interest. C’est quoi le message ? Que la convoitise c’est ok que quand c’est pour une histoire d’amour ? Jamais du début à la fin il ne va vraiment s’intéresser aux idées défendues par le groupe politique – ni même les critiquer. Jamais le sens de son engagement n’est interrogé. On voit tout le mépris des réalisateurs pour la politique, qui n’est jamais utilisée que comme un support pour leurs petites histoires sympathiques. Mais alors pourquoi faire un film autour d’un sujet qu’on ne respecte pas ? A mon sens, c’est la démarche opposée de celle vue dans Hors Normes et dans Intouchables : les films avaient au contraire pour objectif de montrer la dignité de leurs sujets.
Et c’est aussi la démarche opposée de Slam Dunk, le manga de Takehiko Inouesur le basket-ball publié dans les années 1990. Même si les deux œuvres n’ont à peu près rien à voir en surface, Slam Dunk est pour moi l’anti-Une année difficile le plus parlant. Slam Dunk raconte l’histoire d’un jeune lycéen, Hanamichi Sakuragi, qui rejoint le club de basket du lycée dans le but de séduire Haruko Akagi, dont il est complètement fou amoureux mais qui se trouve être la sœur du capitaine de l’équipe du lycée. Donc finalement un engagement de départ intéressé comme dans le film de Toledano et Nakache. Seulement, pour progresser dans l’équipe, Sakuragi va être obligé de ne pas faire semblant de s’intéresser au basket et d’en comprendre les arcanes. Le manga se veut très pédagogique et précis sur le basket et le lecteur est amené à accompagner véritablement le héros dans son apprentissage. Inoue nous décrit dans le détail les tactiques de placement, les contres, les techniques de lancer, etc. Si bien que et le personnage et le lecteur apprennent au fil manga à apprécier la grande complexité du basket en tant que jeu. Apprentissage qui se prolonge par la découverte du plaisir de jouer des matchs compétitifs. Ainsi le manga contient-il des matchs qui s’étalent sur des dizaines de chapitres, ce qui permet d’exposer avec finesse et exhaustivité les émotions intenses ressenties par les joueurs. Et bilan des courses, à la fin du manga, attention gros spoiler, Sakuragi déclare sa flamme non pas à Haruko, mais bien au basket qu’il a appris à aimer en s’y engageant, certes, sur un coup de tête. Parce qu’il a découvert les joies du basket, il a fini par reléguer son appétit romantique au second plan de l’histoire. C’est la leçon inverse d’une année difficile : sur le plan du développement personnel, l’engagement pour une cause ne peut pas être neutre pour peu qu’on s’y intéresse sérieusement. Autrement dit, l’engagement ne peut être détaché de son objet, et l’objet de l’engagement ne peut laisser indifférent celui qui s’engage. Ou alors on a rien compris comme Toledano et Nakache.