Municipales et organismes HLM
J’ai écouté attentivement l’atelier sur les municipales qui s’est déroulé lors des universités d’été du QG décolonial, le 20 juillet 2025. Il est à retrouver en VOD ici. Lors de l’échange, Yassine Benyettou, ex-candidat NFP-LFI aux législatives pour la cinquième circonscription des Yvelines et militant engagé pour les municipales à Sartrouville, est lucide sur les difficultés que vont rencontrer les candidats de son camp espérer rassembler largement et gagner en 2026 : “Le maire de droite, qui est là depuis 1995, a méticuleusement affaibli politiquement les habitants des quartiers.”
Comment ? Premièrement, en empêchant littéralement les habitants de se réunir : “Le premier espace d’organisation politique pour les habitants des quartiers, c’est l’espace public, c’est l’occupation de la rue : faire un barbecue, faire un tournoi. Et on nous interdit de l’occuper avec une police municipale qui harcèle, avec une politique urbaine où on va détruire une place en retirant les bancs…”. Deuxièmement, en contrôlant (voire en sapant) les associations qui font la vie du quartier et qui se retrouvent à exercer un rôle de support de l’équipe municipale en place : “On a une amicale de locataires qui a été construite [par la mairie] pour acheter la paix sociale il y a quelques années. Le rôle de l’amicale de locataires est de dire aux habitants “que le problème c’est pas la mairie, c’est le bailleur.” Sauf que la mairie peut faire des choses par rapport aux bailleurs. Et constamment ça va être ça : déplacer le curseur de la responsabilité. Et ça c’est les nôtres qui produisent [ce discours]. C’est un gars de la cité des Indes qui a la quarantaine et qui est président de cette amicale de locataires.”
Face à cette situation et ce clientélisme apparent de la majorité municipale sortante, Yassine Benyettou refuse de s’inscrire dans une dynamique d’opposition frontale, d’insulte et de discours culpabilisateur vis-à-vis de l’amicale mise en cause, mais propose stratégiquement de “construire d’autres amicales de locataires, d’autres espaces associatifs, en parallèle. Il faut conquérir les pouvoirs intermédiaires, donc les pouvoirs associatifs, pour conquérir le pouvoir local. Même si on ne prend pas le pouvoir partout, il y a une nécessité à créer des espaces de résistance, à construire des structures de lien social”.
Bon, je n’ai rien à redire sur la stratégie, mais j’ai trouvé utile d’en faire un résumé ici – on ne perd jamais son temps à diffuser la bonne parole des camarades !
En revanche, j’aimerais revenir sur cette affaire de l’amicale de locataires. Yassine Benyettou pointe en fait une triple problématique : les rapports entre les élus municipaux et les locataires des HLM, le rapport entre les locataires HLM et leurs bailleurs, le rapport entre les les bailleurs et les élus municipaux. Ces trois rapports ont énormément évolué ces dernières années, et il faut reconnaître qu’il y a aujourd’hui une part de vérité dans l’argumentaire du président de l’amicale : le maire a de moins en moins de pouvoir d’agir sur les bailleurs sociaux installés sur son territoire et il est donc plus difficile pour lui d’aider et accompagner les locataires HLM – même s’il en a vraiment la volonté de le faire.
Cette impuissance s’explique : elle a été construite par l’action directe des gouvernements Macron et Hollande qui ont en l’espace de dix ans réorganisé totalement le tissu HLM. Par l’effet de la loi ALUR (2014) et la loi NOTRE (2015), la possibilité d’avoir des offices publics de l’habitat (OPH) rattachés aux communes dans les EPCI compétents en matière d’habitat a d’abord été supprimée. Les OPH ont donc dû se rattacher à leurs EPCI, donc au conseil communautaire, ce qui a fait disparaître la quasi-totalité des offices communaux (à part les plus isolés), offices liés historiquement aux maires. Puis, à la suite de la loi ELAN en 2018, tous les organismes offices HLM en dessous d’une certaine taille critique ont été forcés de se regrouper dans de plus gros offices ou même parfois au sein d’énormes sociétés de coordination où ils se sont regroupés avec entreprises sociales de l’habitat, non rattachés administrativement à des collectivités. Si bien que les maires siègent de moins en moins dans les conseils d’administration des organismes HLM, ils en ont été éloignés de fait.
Les réformes de regroupement ont été en fait engagées par le souci de “rationalisation” des organismes HLM. Comprendre la recherche d’économies d’échelle et l’augmentation de la fameuse capacité de financement. Évidemment, il n’y a eu ni économies d’échelle avérée, ni augmentation de la production de logement social (et même une tendance à la baisse), comme le notait l’avis n°8 du Conseil Social de l’Habitat paru en 2023. Le plan du Mozart de la finance était pourtant parfait : les réformes structurelles du tissu des organismes HLM étaient censées compenser la cure d’austérité qu’on leur imposait par la baisse des APL. Comme souvent, il s’est trompé, et a au passage donc largement contribué à détruire le lien entre les maires et les bailleurs sociaux intervenant sur le territoire de leur commune. Et tant pis si sous l’impulsion de Macron et Hollande, on a rompu les bases d’une politique nationale de logement social reposant en grande partie sur l’initiative des communes via leurs offices, politique engagée depuis plus de 100 ans avec la loi Bonnevay de 1912.
Donc oui, il est juste de remarquer qu’un maire n’a pas toujours son mot à dire sur les pratiques d’un bailleur social. Et c’est là où ça devient pernicieux : un maire PS ou de droite peut certes se retrouver dans des situations où il n’est pas compétent pour intervenir sur les relations bailleurs-locataires. On ne peut donc pas lui reprocher de ne rien faire. Mais ce même maire PS ou de droite, il est en revanche responsable d’avoir soutenu des gouvernements qui ont organisé sa propre impuissance. Et ça on peut le lui reprocher, et je dirais même qu’on doit le lui reprocher avec force.
Pour revenir au sujet initial, je pense que c’est un angle d’attaque à investir largement pour les débats qui auront lieu pour les municipales : à chaque fois qu’un maire sortant PS ou de droite se dérobera d’un sujet en rappelant son impuissance, il faudra vérifier et montrer au cas par cas s’il n’a pas lui-même soutenu des politiques nationales qui ont organisé son propre affaiblissement. Une fois les éléments exposés, les électeurs trancheront. Préféreront-ils des maires sortants qui n’ont pas osé, pas voulu, s’opposer à ceux qui leur ont retiré du pouvoir d’agir, ou alors des candidats qui font preuve de leur insoumission ?