L’histoire de la fin de l’US Métro

Ça y est, l’US métro a annoncé son auto-dissolution progressive, à travers un communiqué envoyé le 14 juin et destiné aux adhérents et mandataires du club. Le courrier mentionne bien que la marque “US Métro 1928” continuera d’exister mais concrètement le club omnisports se restructure, c’est-à-dire que les sections sportives différentes mettent fin à leur lien de dépendance financière et administrative. Avec bien sûr pour conséquence la disparition totale des sections qui ne peuvent pas trouver de modèle économique viable, comme par exemple la section d’escrime dont j’étais membre.

Pour comprendre les raisons de cette triste disparition, un rappel historique sur l’histoire du club s’impose. Les comités d’entreprise sont créés en 1945, sous l’impulsion du Comité National de la Résistance et particulièrement de la CGT. Les « CE » se donnent immédiatement pour mission de développer l’accès aux pratiques culturelles et sportives des salariés. En pratique et à partir de cette date, les CE vont administrer les clubs omnisports qui avaient déjà été fondés par les syndicats et les associations de travailleurs durant l’entre-deux-guerres. Tel est le cas du mythique club francilien affilié à la RATP : l’Union Sportive Métropolitaine des Transports (US Métro ou USMT), résultat de la fusion entre le Club Sportif des Transports Métro et l’Union Sportive Métropolitaine. Cette dernière était déjà un club omnisports dès 1928 comprenant de multiples sections variées : escrime, lutte, aviron, basket ball, boules, tir, athlétisme, boxe, rugby, cyclisme, football, natation, tennis… L’US métro va offrir un service d’utilité publique d’abord aux travailleurs de la RATP, et ensuite à la population habitant près des infrastructures sportives. En effet, l’administration syndicale va tout au long de son histoire pousser le club à progressivement s’ouvrir et recruter de nouveaux adhérents non affiliés à la RATP, mais intéressés à la pratique des activités. Cette ouverture aux extérieurs s’explique autour de trois raisons principales : 

  • L’ouverture représente un avantage financier certain car les adhérents non-affiliés à la RATP cotisent au club sans bénéficier des réductions réservées aux agents et à leurs familles. C’est un véritable apport. Le tarif est cependant relativement faible comparativement au « marché » de l’offre sportive francilienne, le club étant financé principalement par le CE de la RATP. 
  • L’ouverture est sportivement nécessaire, particulièrement à haut niveau, or l’US Métro vise l’excellence pour ses sous-sections compétitives – 91 de ses adhérents se sont qualifiés pour les JO depuis la création du club. 
  • L’ouverture de l’US Métro est aussi un symbole de fierté politique pour le CE et les agents de la RATP. Les syndicats sont au 20e siècle encore indéniablement imprégnés d’un certain idéal socialiste qui se veut clairement opposé à tout esprit corporatiste : l’action syndicale se doit d’être tournée vers une transformation de la société toute entière, ne pas se cloisonner aux seuls salariés de l’entreprise, et s’offrir, autant que possible et en solidarité, à tous les travailleurs. 

Du fait sa qualité de grand club omnisports ; de son ouverture à toute la population, à tout niveau et à tout âge, pour une pratique de loisirs, de sport-santé, ou de compétition ; et du tarif abordable de ses adhésions, l’US Métro a joué par conséquent depuis sa création un véritable rôle de service public populaire dans ses communes d’implantation, c’est-à-dire principalement à Paris et à Antony. Et grâce à son modèle singulier d’affiliation à la RATP, l’US métro s’est maintenu durant toutes ses années d’existence comme un des tous plus grands clubs sportifs franciliens en nombre d’adhérents.

Mais alors comment et pourquoi un club qui a des bases si solides peut-il disparaître soudainement ? On peut considérer une série de décisions politiques et économiques récentes qui ont entraîné la chute du club : 

  • La privatisation et le saucissonnage en cours de la RATP organisés par les gouvernements successifs depuis 2007 et soutenus par Île-de-France Mobilités ont déstructuré de fait le CE de la RATP et l’ont contraint à une cure d’austérité. 
  • Sur la base de l’argument fallacieux de la trop grande ouverture de l’US Métro à des personnes non salariées de la RATP, les syndicats qui contrôlent le CE de la RATP aujourd’hui (UNSA, FO et la CGE-CGC) ont accompagné ce mouvement d’austérité en choisissant d’abandonner progressivement l’US Métro à partir de 2023, à rebours de toutes les valeurs du syndicalisme concernant l’accès aux pratiques sportives et culturelles :
    • D’abord en arrêtant les subventions qui représentaient l’essentiel des ressources de l’association sportive et en lui imposant un plan social d’ampleur. Plutôt que le financement d’une structure omnisports fiable, pérenne et qui profite à toutes et tous, le CE préfère désormais distribuer individuellement à chaque salarié un chèque cadeau modique pour s’inscrire dans un club sportif privé de son choix (et donc soumis aux tarifs du marché…).
    • Ensuite en allant même jusqu’à décider de faire du profit sur l’US Métro en obligeant le club désormais indépendant de la RATP à payer des loyers au prix fort, puisque la RATP reste propriétaire des murs des enceintes sportives. Et en menaçant le club d’expulsion dans le cas où un acheteur intéressant se présenterait. Les agents de la RATP, qui assurent le fonctionnement d’un service public en voie de privatisation, doivent savoir que leurs représentants au CE ont indirectement organisé le démantèlement d’autres services publics, en suivant les mêmes recettes libérales éculées.
  • Pour survivre sur le marché privé de l’offre sportive sans l’appui de la RATP, la direction de l’US Métro se voit contrainte en conséquence d’augmenter ses tarifs de façon considérable et ferme au fur et à mesure les sections considérées comme moins « rentables » comme la section d’escrime, qui tourne pourtant à plein régime en cette saison 2024-2025 grâce à « l’effet JOP Paris 2024 ». Il me semble aujourd’hui que seule la section de sports de combats semble capable de survivre, grâce à l’explosion des pratiques de sponsoring autour du MMA.

Les pouvoirs publics auraient-ils pu malgré tout sauver l’US Métro ? Dans une certaine mesure, oui. 

  • La direction de la RATP (donc l’Etat) aurait pu choisir de stopper l’hémorragie en pérennisant le financement de la RATP, considérant que le club n’avait pas à subir l’impact d’une réforme de privatisation qui ne visait pas vraiment à détruire l’US Métro. Une mobilisation des agents pour sauver le club aurait également pu faire bouger quelques lignes, mais force est de constater qu’elle n’a pas eu lieu. Mais la politique de développement et du maintien de l’offre sportive ne semble plus être une priorité depuis la fin des JOP (l’était-elle vraiment avant ?).
  • On aurait pu envisager également une municipalisation de toute l’US Métro, à commencer par ses sections considérées comme moins « rentables » pour échapper au modèle de privatisation qui s’impose et préserver le service public. Cette solution a en fait été appliquée en partie concernant les sections situées à Antony, où la commune a décidé de racheter les biens possédés par la RATP dont se servent les usagers de l’US Métro. Mais pour les sections parisiennes, la mairie a botté en touche considérant que l’achat de locaux appartenant à la RATP et d’une valeur estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros ne pouvait même pas s’envisager à l’approche des municipales. 

Mais voilà, rien n’a été fait, ou si peu, et un des plus grands clubs franciliens disparaît du jour au lendemain. Quel gâchis !

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