L’Etat peut et doit créer sa propre plateforme Airbnb nationale

Structurellement, Airbnb n’est pas juste un monopôle. Airbnb fonctionne comme un service public d’ampleur dédié au tourisme, et qui est utilisé comme tel par les Français. Voilà une plateforme doublement incontournable pour les Français : elle donne à certains la possibilité de générer des revenus en partageant son bien temporairement et à d’autres la possibilité de résider dans des chambres chez l’habitant partout en France sans passer par des campings ou des hôtels. En quelques années, la plateforme est complètement rentrée dans les pratiques des Français qui, semble-t-il, en raffolent. Rien que pour l’année 2023, Airbnb estimait avec fierté avoir permis de faire séjourner 44 millions de voyageurs, dans plus de 24 000 communes en France, dont 3 sur 4 dépourvues d’hôtels.

L’activité d’Airbnb a pris une telle place dans le système du tourisme en France que même le pouvoir macroniste a commencé à vouloir mieux réguler sa pratique (alors même que Macron a construit son identité politique en déclarant sa soumission aux plateformes de la nébuleuse des uber-like dont Airbnb est un des plus massifs représentants). C’est qu’Airbnb pose de plus en plus de problèmes : surtourisme, contribution à la pénurie de biens disponible à la location à l’année, renchérissement des prix immobiliers… Avec la faveur du gouvernement, le Parlement a donc adopté de façon transpartisane le 19 novembre 2024 la loi “visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale” qui a relativement bien durci la réglementation. La loi permet en effet des pouvoirs de contrôle élargis pour les maires, une fiscalité des meublés de tourisme moins favorable, une régulation des meublés de tourisme dans les copropriétés. Tout cela va dans le bon sens, mais n’empêchera pas Airbnb de continuer à capter l’argent des touristes qui souhaitent séjourner en France ! Car, dans la plus pure expression du capitalisme financier, Airbnb est littéralement propriétaire des moyens de production du tourisme en France.

Lorsque la gauche reprendra le pouvoir (ce qui finira bien par arriver), elle serait bien inspirée de ne pas se contenter de poursuivre l’interminable œuvre de durcissement de la réglementation, et de s’attaquer directement au nœud du problème par la création d’un véritable service public s’inspirant d’Airbnb régi par la collectivité et non par une multinationale californienne. Et qu’on n’aille pas me faire croire que l’Etat serait incapable de créer une plateforme aux fonctionnalités aussi basiques que celles d’Airbnb ! En fait, le tout premier article de la loi adoptée en 2024 citée plus haut oblige déjà à l’Etat de créer pour 2026 un téléservice national qui collectera toutes les informations des enregistrements de nuitées de toutes les plateformes – pour que les autorités puissent véritablement exercer un contrôle concret sur l’activité d’Airbnb et de ses concurrents. S’il en a la volonté, n’importe quel gouvernement pourra transformer à peu de frais et très rapidement ce téléservice en une plateforme nationale pouvant concurrencer Airbnb.

Au-delà d’une meilleure surveillance du respect des réglementations classiques (sur la décence du logement, sur le nombre maximal de nuitées autorisées par bien, sur les réglementations des communes concernant le changement d’usage…), la création d’un Airbnb nationalisé pourrait aussi permettre de créer une nouvelle éthique pour la plateforme, qui en vérité présente aujourd’hui de nombreux aspects très déplaisants pour ses usagers  : 

  • Une plateforme nationalisée permettrait de penser la fin du système de notation des usagers. On parle souvent avec dédain du système de crédit social chinois mais on oublie que le capitalisme occidental produit déjà des systèmes de crédit social qu’on accepte sans rechigner. Mettre fin au système de notation des usagers ne signifierait pas pour autant mettre fin au système de notation des lieux et des locations qui est est une fonctionnalité recherchée par les usagers et qui pose beaucoup moins de problèmes éthiques. Par suite, il faudrait même envisager des systèmes d’anonymisation des usagers vis-à-vis de leurs bailleurs pour éviter les phénomènes de discrimination qui sont coutumiers sur la plateforme. Les témoignages de personnes avec un nom de consonance étrangère qui se sont vus refuser l’accès à la location sur la plateforme ne manquent pas.
  • Une telle plateforme permettrait aussi d’envisager une rationalisation des tarifs, en ne suivant pas la logique extrême du marché comme aujourd’hui. Il s’agirait en fait de réduire la perte de pouvoir d’achat des touristes liée à la location d’un bien de vacances (rappelons une nouvelle fois qu’Airbnb a une fonction de service public sans en avoir le caractère) et d’autre part de permettre de faire respecter sans trou dans la raquette les réglementations sur les prix des loyers. Il est totalement absurde et contre productif d’avoir un système de régulation des prix des loyers qui s’applique aujourd’hui sur une partie des communes en France si on ne l’applique pas pour les loyers Airbnb ! D’autant qu’on sait qu’à cause de la crise du logement le marché de la location classique et le marché Airbnb s’entremêlent souvent. L’Etat pourrait par ailleurs choisir de fixer une commission beaucoup plus faible et transparente que celle prise par Airbnb aujourd’hui. Et pourquoi ne pas rêver que la commission participe au financement des politiques de logement, au lieu d’être versée directement dans les poches des actionnaires d’Airbnb ?
  • Enfin, une plateforme nationalisée pourrait présenter une meilleure assurance et une plus grande sécurité pour les hôtes. Je suis tout-à-fait persuadé qu’on est moins enclin à frauder sur une plateforme du gouvernement que sur un site privé qui cherche à tout prix à éviter les ennuis judiciaires qui ne sont pas bons pour le business et pour l’image de marque. On sait que les pratiques de filouterie sont monnaie courante sur la plateforme aujourd’hui, ce qui détériore totalement l’expérience de l’usager. On peut citer pêle mêle les propriétaires qui imposent le paiement de suppléments ménage ou literie sans les annoncer sur la page de leur bien, les propriétaires qui font des annonces mensongères et indiquent des équipements qui sont absents ou cassés, les locataires qui ne prennent pas soin du bien qu’on leur fournit…Ces pratiques de filouterie qui aujourd’hui sont relativement mal sanctionnées par le système de notation sociale pourraient disparaître totalement avec une plateforme nationale : les usagers en seraient à mon avis totalement dissuadés

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