Rapport Daubresse-Cosson sur la relance de l’investissement immobilier et le statut du bailleur privé : la grosse blague libérale
Avez-vous déjà entendu parler de la demande de mise en place d’un “statut du bailleur privé” que le nouveau ministre du logement Vincent Jeanbrun souhaite inscrire dans le budget d’après un communiqué paru ce 17 octobre, et qui est soutenue politiquement par toute la droite et le centre, PS compris ? Si cela ne vous dit rien, franchement tant mieux pour vous, mais cela signifie que vous êtes passé à côté de la marotte préférée du lobby des investisseurs immobiliers depuis quelques années, réclamée à tort et à cri jusqu’à plus soif. Cette notion a pourtant de quoi étonner. Car bailleur privé n’est pas une profession qui a besoin d’un statut pour fonctionner, c’est une position sociale qui consiste à capter les revenus de locataires en étant propriétaire. De quoi donc cette demande est-elle en fait le nom ? Si on regarde en détail les propositions des promoteurs de l’idée, on comprend vite que demander le statut du bailleur privé est en fait simplement une façon présentable qu’ont trouvé les lobbyistes de réclamer une réduction de la fiscalité sur les revenus locatifs. Une trouvaille sémantique, en somme. Et un jeu de dupes qui, à force d’insistance, a fini par fonctionner puisque l’ancienne ministre du logement y a cédé dès juin dernier et a donc décidé de commander un rapport destiné à “définir des mesures pour relancer l’investissement locatif privé et proposer aux propriétaires bailleurs, qui souhaitent louer leur bien à titre de résidence principale, un rééquilibrage de la fiscalité pour les encourager dans cette démarche”. La mission a été confiée au sénateur LR Daubresse et au député MODEM Cosson, et le rapport a été remis le 30 juin à la ministre du logement. Et nul doute qu’il a contribué à alimenter la proposition qui ressort pour le budget 2026. Je me suis donc coltiné la lecture du rapport par curiosité, et je dois bien vous avouer qu’il m’a surpris par sa bêtise et par son manque de rigueur extrêmement apparent. Qui atteint un niveau proche du rapport remis à Retailleau sur les Frères musulmans, si vous voulez un point de comparaison un peu parlant. Enfin, tout comme ce dernier, le rapport Daubresse-Cosson a pourtant bénéficié d’une couverture médiatique importante et même d’une promotion que je qualifierais d’inquiétante. C’est pourquoi je vais m’efforcer d’en faire une critique détaillée.
En préambule, quelques remarques utiles sur la forme du rapport
La mission prétend avoir fait son travail à partir d’auditions des acteurs du secteur. Mais le rapport ne mentionne jamais ni les acteurs interrogés ni le cadre des auditions, ce qui est très étonnant. Pire, le rapport avoue que les principes de la mission étaient établis “d’emblée” avant même de mener les auditions, et que les personnes auditionnées n’ont eu pour rôle que de légitimer le rapport. Et encore, c’est seulement si on veut bien croire les auteurs des rapports, qui se contentent de signaler que “les constats sont non seulement partagés mais les solutions le sont aussi largement”, sans en dire plus sur le contenu des auditions. On admettra que c’est très léger. Ce point est central car précisément le rôle du rapport est de ratifier un prétendu consensus sur le sujet, qui n’existe pas dans la réalité : il serait bien étonnant que les associations de locataires ou la fondation pour le logement soient d’accord avec les principes très libéraux défendus par le rapport.
Il n’est pas non plus rappelé la méthodologie de la construction du rapport. On aurait aimé connaître au minimum les organismes qui ont été consultés pour la rédaction et pour valider les estimations farfelues (comme on va le montrer), ainsi que les personnes ou les services de l’Etat qui ont été mobilisés pour rédiger ce rapport. Cela m’étonnerait que Daubresse et Cosson aient rédigé tout ça avec leur petites mains… En l’absence de transparence, on ne peut que les soupçonner soit d’avoir d’avoir eu recours à un cabinet de conseil privé vu la piètre qualité du rendu (il y a même des fautes d’orthographes qui trainent !), soit, et ce serait pire encore, d’avoir laissé la rédaction aux lobbyistes qui travaillent sur le sujet depuis des années tant le rapport reprend avec fidélité leurs éléments de langage bien connus.
Enfin sur la présentation des chiffres-clés, on croit rêver tellement c’est caricatural. Tout est fait pour montrer à quel point les bailleurs privés sont essentiels à la société. Et des petites gens. Plusieurs constats en vrac sur ce passage :
- Les propriétaires qui possèdent au moins deux résidences sont toujours présentés par euphémisme comme des “bailleurs qui n’ont qu’un seul logement”. Et comme ils constituent 70% des bailleurs, le rapport s’autorise à ne pas s’attarder sur la présentation du poids des 30% restants dans le marché.
- Les propriétaires sont systématiquement présentés comme nécessaires à la survie de leurs locataires. On nous dit par exemple que “le parc locatif privé loge 25 % des ménages et 58 % des locataires”. C’est vrai ça, que ferait-on sans tous ces bons seigneurs qui daignent accueillir le peuple dans leurs palais dorés de 30m² en échange d’une modique somme ?
- La dimension parasitaire de l’activité de bailleur, pourtant établie depuis plus de 150 ans déjà par nos penseurs gauchistes, est totalement occultée. Pour l’activité d’investissement, on parle de “revenu d’appoint”, qui permet de “se constituer un patrimoine”. Jamais au demeurant on interroge le fait que ladite constitution du patrimoine se fait en s’accaparant les revenus des locataires. Tout le processus de transfert de revenus entre le locataire et le propriétaire est parfaitement minimisé.
- Quasiment aucun chiffre présenté n’est sourcé.
- Mention spéciale à la formulation “Contrairement à des idées reçues, ce type d’investissement n’est pas réservé aux ménages aux revenus les plus élevés. En effet, le taux marginal moyen d’imposition tourne autour de 20 %, bien inférieur aux tranches supérieures du barème de l’impôt sur le revenu.”, qui est la plus grosse fumisterie du rapport à mon sens. Ce degré d’approximation, noyé par l’utilisation d’une statistique aussi peu parlante pour mesurer la richesse des gens que le taux marginal moyen d’imposition, c’est un niveau de novlangue rarement atteint.
Sur le fond, une réforme nécessaire ou un cadeau fiscal de plus ?
D’abord, arrêtons nous sur le diagnostic des rapporteurs qui pourrait se résumer ainsi : les investisseurs immobiliers souffrent. A cause de quoi ? Selon le rapport, deux raisons essentielles : en un la trop forte protection des locataires (les mesures citées en négatif sont l’encadrement des loyers dans les grandes villes, les obligations réglementaires telles que les obligations de rénovation énergétique dans l’ancien, la hausse des impayés) et en deux la fiscalité trop importante qui pèse sur l’activité (hausse de la taxe foncière sur les propriétés bâties, fin du dispositif Pinel…). Le rapport synthétise le problème dans un magnifique et émouvant paragraphe : “Contrairement à la caricature qui en est souvent faite, l’investisseur particulier n’est pas un spéculateur ou un rentier. C’est un agent économique qui investit au service de la production de logements. Beaucoup de propriétaires, en offrant un loyer abordable, en assurant la qualité de leur logement, démontrent en outre leur engagement social et environnemental. Ces propriétaires ont par ailleurs souvent un niveau de revenus moyen. Pour autant, notre système, fiscal notamment, ne reconnaît pas suffisamment cet investissement et le risque pris.” Franchement, on aurait presque envie de pleurer. De l’engagement social et environnemental, rien que ça. C’est vrai que lorsque ton bailleur prend ton loyer pour rembourser son emprunt ce n’est pas du vol, c’est juste de la socialisation pour sa poche, il fallait y penser. Et le risque pris, wow, on ne le dira jamais assez, ce sont des héros du quotidien. Des héros pas vraiment désintéressés semble-t-il, puisque ne se considérant pas assez rémunérés selon leur échelle de valeur. Des héros qui menacent de partir si rien n’est fait pour les retenir : “Ils doivent être encouragés si l’on souhaite éviter qu’ils se détournent de l’investissement dans le logement au profit d’investissements plus rentables. De nombreux placements financiers sont aujourd’hui plus attractifs qu’un investissement locatif, d’autant plus que ces placements bénéficient d’une flat tax et ne sont pas soumis à l’impôt sur le fortune immobilière (IFI).” On retrouve le même chantage que celui des optimisateurs/exilés fiscaux : si y’a trop de taxes je me barre et tant pis pour toi.
Partant de ce diagnostic poignant, le contenu de la réforme proposée par les rapporteurs est donc le suivant :
Pour résumer, la mission souhaite une réduction de la fiscalité pour les investisseurs immobiliers, dans l’ancien et dans le neuf, pour relancer l’activité qui est, il est vrai, au point mort aujourd’hui. La brillante idée originale que voilà ! Les macronistes au pouvoir depuis 8 ans, qui sont des collectivistes acharnés comme chacun sait, n’y auraient sans doute jamais pensé sans ce rapport ! Notons toutefois que bien que la mission chouine sur les mesures de protection de locataires en les présentant comme un problème comme on l’a vu, elle a au moins la décence de ne pas en faire le cœur de ses propositions.
Pour consolider son argumentaire, la mission s’attaque ensuite au difficile exercice de l’estimation des effets et impacts de la réforme proposée. Et, bien évidemment, c’est gratiné là-aussi.
Voilà la démonstration : d’abord, sans l’expliquer, “la mission a pris l’hypothèse centrale d’une hausse des transactions de 8000 logements neufs en investissement locatif par an, jusqu’à atteindre un « plateau » en 2030, soit 40000 logements neufs supplémentaires par an à horizon 2030 par rapport à 2025, pour atteindre 70000 logements par an”, qui serait due à la réforme. De plus, la mission table sur des effets induits, qui eux bénéficient d’une explication succincte : “Les investissements locatifs privés jouent un rôle de déclencheur pour les opérations en collectif. En effet, une opération dans le collectif compte classiquement un tiers de logements en accession, un tiers de logements sociaux, un tiers d’investissements locatifs.[…] Il serait donc logique de considérer un effet induit de 80000 logements produits grâce aux 40000 logements faisant l’objet d’un investissement locatif. Par souci de grande prudence dans ses chiffrages, la mission n’a pris en compte cet effet qu’à hauteur de 25 %, soit 20000 logements supplémentaires.” Après le coup de l’hypothèse sortie du chapeau, on nous fait le coup du “t’inquiète mon calcul n’a aucun sens mais je l’affine par le bas donc tout va bien”, technique ancestrale s’il en est. On arrive à un total de 60 000 logements en plus par an d’ici 2030, auquel il faut ajouter 30 000 transactions supplémentaires par an dans l’ancien. Sur ce dernier nombre, je pense qu’on a le droit à l’explication la plus floue du rapport. La mission considère que “compte tenu du caractère incitatif du dispositif proposé, on peut estimer le nombre de transactions après réforme à environ 70000 par an d’ici 2030 [contre 40 000 prévu sans réforme] : en effet, à l’issue de la réforme, le parc ancien bénéficiera d’une fiscalité allégée par rapport à celle dont il bénéficiait avant alors que la production neuve a toujours été soutenue dans l’histoire récente, jusqu’au Pinel. On estime donc qu’environ 30 000 transactions supplémentaires par an en 2030 sont possibles dans l’ancien à des fins d’investissement locatif.” En synthèse, “la mission table donc sur 90000 logements supplémentaires par an 2030” ce qui est un abus de langage qui arrange bien le rapport, puisque les 30 000 transactions dans l’ancien deviennent magiquement des logements supplémentaires, or il n’en n’est rien.
Mais la démonstration ne s’arrête pas là. Partant de ces approximations, les rapporteurs se lancent dans un périlleux calcul du bilan coûts/gains pour les finances publiques :
Après l’enchaînement des hypothèses farfelues, des approximations et du mensonge, on passe tout simplement à l’erreur. On ne peut pas, comme le fait le rapport, supposer que les personnes qui investissent dans l’immobilier n’auraient pas investi autre part sans la réforme et n’auraient pas généré des transactions et donc de la TVA. En fait, si on déroule le raisonnement, le rapport prétend que les cadeaux fiscaux débloqueraient de l’argent et de la croissance qui n’existeraient pas autrement. Ça ne vous rappelle pas un truc ? Si, si, la théorie du ruissellement ! Celle-là même que porte notre cher président. Je pensais qu’il y avait un consensus scientifique pour dire que c’était complètement con, mais on peut donc encore la retrouver dans des rapports de ce type qui se veulent sérieux.
Comme c’est la foire aux calculs sortis du chapeau, je vais proposer le mien. Sortons de la logique des coûts/gains et supposons seulement l’hypothèse centrale de 8000 logements supplémentaires par an à partir de 2026 (ce qui reste à prouver, mais bref, accordons leur ça). On aurait donc pour 2026 une dépense de 200 millions d’euros pour la livraison de 8000 logements neufs en plus liés à des investissements locatifs. Eh bien je trouve que franchement ça fait cher le logement. Je me dis qu’on aurait pu avoir le même résultat voire mieux en dépensant 200 millions pour le monde hlm. Enfin je ne suis sûr de rien. Mais c’était justement ce genre d’étude comparative qu’on attendait d’un tel rapport et qui manque cruellement ici !
Quel sketch ! Ça en serait drôle s’il n’y avait pas de crise du logement, mais dans ce contexte, c’est honteux. Honte à Daubresse et à Cosson d’avoir remis un rapport pour servir leur soupe libérale. Honte à Valérie Létard d’avoir approuvé cette mascarade. Enfin, honte à la presse, spécialisée ou généraliste, d’avoir repris les éléments du rapport sans les interroger.